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Comment être un dirigeant performant sans être visionnaire ?

La stratégie du transformateur

Depuis quelques temps, je lis qu’un dirigeant pour réussir doit "accompagner" son équipe et non la "diriger", qu’il doit "donner du sens" à travers une vision qui transcende les actions du quotidien et non "donner des objectifs". En synthèse il doit être un manager-coach visionnaire.
J’aimerais m’attarder un instant sur l’aspect visionnaire du rôle du dirigeant pour en préciser les contours.
S’il fallait être visionnaire pour être un dirigeant performant, alors les entreprises auraient du souci à se faire ! En effet, il me semble que peu d’êtres humains ont réellement cette capacité. Il suffit de regarder l’état de notre planète pour s’en convaincre.
Personnellement, je ne pense pas qu'avoir une vision soit une nécessité pour donner du sens et je constate sur le terrain que l’on peut mener une entreprise aux succès sans forcément être un visionnaire comme Steve Jobs ou Elon Musk.
Il me semble que c’est possible en construisant un avenir acceptable, porté par des valeurs, par opposition à un avenir souhaité, porté par la vision d'une cible à atteindre. Deux concepts très différents.
Certes, dit comme cela, un avenir acceptable paraît moins glorieux, mais attardons-nous sur ce concept pour en comprendre sa subtilité et son apport dans notre quotidien d’entrepreneur.

Le concept d’avenir acceptable renvoi à une étude publiée en 2006 par Robert Wiltbank, Nicholas Dew,Stuart Read, et Saras Sarasvathy, dans le Strategic Management Journal,sous le titre : What to do next? The case for non-predictive strategy
Cette étude présente 4 types des tratégies possibles pour le dirigeant d'une entreprise qui doit répondre tous les jours à la question : Et maintenant, que fait-on ?
Ces stratégies d'entreprises ont été particulièrement utilisées ces dernières décades :
-      stratégie de la planification, qui culmine dans les années 80,
-      stratégie adaptative dans les années 90,
-      et stratégies du visionnaire et du transformateur à partir des années 2000.
Chaque stratégie n’a pas l’exclusivité d’une période mais c’est au cours des périodes citées qu’elles ont été le plus popularisées. Et je suis sûr que dans la Grèce antique, les dirigeants de l'époque faisaient aussi de la stratégie du visionnaire et assurément d’autres avant eux !
L'étude retrace les récentestendances historiques pour comprendre pourquoi elles étaient particulièrement appréciées à leurs époques respectives.
Le concept d’avenir acceptable est associé à la stratégie du transformateur.
Elle est basée principalement sur la mise en commun de moyens (techniques, matériels, intellectuels) au sein d'une communauté d'intérêt, constitué de parties prenantes, pour co-construire un futur qui respecte les valeurs de chacune des parties prenantes au sein de la communauté.
C'est à ce titre qu'il est acceptable par tous. L'acceptable n'est pas vu comme une notion en creux qui serait le plus petit commun dénominateur, mais au contraire comme un socle solide et structurant, qui permet à chacun de bénéficier des contributions des autres, en moyens et en idées. Il s'agit d'innover ensemble et de co-construire un futur, qui aurait été inaccessible tout seul.

Le futur acceptable est la promesse que quoi que nous imaginions ensemble, le résultat sera conforme à nos valeurs communes et donc acceptable par chacun.

Avant d'aller plus loin, je précise la notion de parties prenantes, qui va être cruciale : ce sont ces acteurs internes et externes à l’entreprise, dont les intérêts peuvent être affectés positivement ou négativement à la suite de l'exécution (ou de la non-exécution) d’une décision ou d’un projet de
l’entreprise. Classiquement se sont les collaborateurs, les managers, les actionnaires, les clients, les fournisseurs, les sous-traitants, la société civile et … la Planète. Dans ma réflexion, je me limite aux parties prenantes qui participent directement à l’action, pour rendre plus lisible la présentation.

Alors quelle différence fondamentale existe-t-il entre la stratégie du transformateur et celle du visionnaire ?
La stratégie du visionnaire est portée par une vision (évidemment !). Celle-ci vise à créer les conditions favorables pour permettre la réalisation de la vision.

La vision en elle-même peut porter des valeurs et contribuer efficacement au bien commun. Mais ce n'est pas un impératif et surtout la trajectoire pour atteindre la cible n'est qu'un moyen.
C'est déjà une première différence avec la stratégie du transformateur, dont l'intention est le respect des valeurs lors de la co-construction de la cible et du parcours de la trajectoire pour atteindre la cible.

La focalisation sur la vision et son atteinte représente la force et la faiblesse de la stratégie du visionnaire.
Sa force première est que la vision crée tout simplement l'action. Elle permet le dépassement de soi car elle suscite les registres du désir, du rêve, du fantasme, avec pour moteur la conquête de
nouveaux espaces physiques, intellectuels, virtuels. C'est le futur souhaitable exalté.

Son pouvoir d'attraction est puissant car il fait appel au levier phare du marketing : le désir d'en être.
Elle fédère par l'alignement de tous sur l'objectif final, qui est présenté comme le Graal.
Chacun pensant tirer parti de l'atteinte de ce Graal.
Une fois la vision clairement énoncée, le réseau d'influence sollicité et l'alignement des contributeurs réalisé, l'efficacité de la stratégie du visionnaire devient redoutable.
Elle donne du sens à l'action. Elle mobilise les énergies dans une seule direction, ce qui amplifie sa puissance. Et comme elle offre une grande souplesse sur les moyens à employer pour réussir, le résultat est souvent à la hauteur des espérances.

Si… et c'est une de ses faiblesses, si le stratège a les moyens de tenir jusqu'à l'avènement de la vision !
En effet, mal gérée, la stratégie du visionnaire risque d'accaparer les richesses de l'entreprise sur un seul sujet.
Laissant l'entreprise bien démunie sur ses autres activités, celles historiques par exemple, qui sont souvent moins exaltantes.

Par ailleurs, dans un monde en mouvement permanent, où le changement est devenu la norme, le risque est aussi fort que la vision sur laquelle l'entreprise se focalise, perde de sa pertinence avec le temps. Ce n'est pas l’idée sous-jacente qui devient mauvaise, c'est son adéquation
avec le marché qui s'amoindrit.

Pour s’assurer que sa vision reste connectée avec le marché, l'entreprise doit être capable de l’influencer pour qu’il évolue favorablement. Ce qui nécessite de dédier de nouvelles ressources financières et humaines au renforcement de la politique de communication et des réseaux d’influence de l'entreprise.
Mon point de vue est que la stratégie du visionnaire est comparable à un cheval de course : quand il est bien nourri et que le terrain est plat comme un green de golf, il est extrêmement véloce et vous emmène facilement à la victoire. Mais si le terrain devient chaotique et que le joker est un peu lourd, il commence par marquer le pas, se fatigue, se blesse et vous vous retrouvez spectateur sur le bord de la piste.

À l'opposé, la stratégie du transformateur est moins flamboyante mais plus robuste. Et pour continuer la métaphore, elle est comparable à une chèvre de montagne qui avance surement sur
des chemins escarpés et profite de chaque opportunité pour aller manger quelques touffes herbes ou tester de nouveaux chemins.

Comme évoqué plus haut, la stratégie du transformateur s'appuie avant tout sur les parties prenantes. Elle propose aux parties prenantes d'adhérer à des valeurs communes. Il s'agit ni plus ni moins que de définir une plateforme sociale dynamique, ouverte et respectueuse des
valeurs de chacun.

La première force de la stratégie du transformateur est la volonté des parties prenantes de co-construire un futur. Elle fédère par l'adhésion à une communauté d'intérêt.
Son pouvoir d'attraction est puissant sur la durée, même s'il demande du temps pour créer le lien. Une fois ce lien mis en place, il est extrêmement résistant, car il relève de l'envie, de l'aspiration.
Son moteur est l'action créative(invention, innovation) pour satisfaire l'intérêt général et donc participer à l'intérêt de chacun, avec l'optimisation de l'usage des moyens existants et une
capacité à valoriser le réel. C'est le futur acceptable choisi.

Il en résulte la constitution d’une communauté sincère (basée sur des valeurs), fidèle (elle préserve les intérêts économiques de chacun de ses membres) et solidaire (constitution d’un destin croisé avec des membres qui se consolident mutuellement).
La communauté des parties prenantes propose une base sécurisée d’un futur acceptable et permet à chacun de la compléter avec son futur souhaitable tant qu'il respecte les valeurs communes.
Les moyens mis en œuvre sont pour parties similaires à ceux de la stratégie du visionnaire avec une intention claire et précise, un réseau d'influence et une communication forte pour faire du prosélytisme, ce qui renforce l'action de la communauté en facilitant l’accès à de nouveaux moyens disponibles.
La grande différence, avec la stratégie du visionnaire, repose sur le mode opératoire qui part des moyens présents pour identifier un objectif servant les intérêts du bien commun. Nous sommes dans une approche ascendante itérative. Comme elle est particulièrement soucieuse de l'usage des moyens, elle est généralement frugale et permet une optimisation de l'efficience matérielle pour obtenir des résultats.
Sa faiblesse est sa limite dedéploiement. Elle est spécifique à la communauté et propose donc des solutions qui sont par essence non universelles. Pour les déployer de manière massive, il faudra d’avantages d'itérations et finalement plus de temps sera nécessaire que dans le cadre d'une stratégie visionnaire.
Mais si on accepte cet aspect local, c'est une stratégie qui est opportuniste et se reconstruit à chaque extension de la communauté. Les nouveaux arrivants apportent de nouveaux moyens et aussi de nouvelles idées, qui sont autant de nouveaux éléments contributifs à un nouveau
futur acceptable partagé.

D'autre part, pour être efficace, ily a un prérequis important : il faut savoir qui on est.
Il n'est pas si évident d'affirmer ses valeurs et de constituer une plateforme commune avec des partenaires. Cette stratégie du transformateur est donc particulièrement indiquée pour les
entreprises à mission, qui ont déjà réfléchi à leur raison d’être et savent se définir par rapport à des valeurs et non par rapport à un simple objectif quantitatif. Pour les entreprises qui n'auraient pas de mission affirmée, ce prérequis n’est pas non plus rédhibitoire car il existe de nombreuses méthodes
d’intelligence collective pour identifier et affirmer sa mission et sa raison d’être.

En synthèse
La stratégie du visionnaire permet de partager une vision et va aligner les objectifs personnels derrière un seul objectif : implémenter la vision. Elle va mobiliser tous les moyens nécessaires
pour y arriver. À ce titre, elle est extrêmement performante. Monomaniaque, elle peut passer à côté d'opportunités ou de changements de contexte qui la rendent caduque.

La stratégie du transformateur, quant à elle, permet l'adhésion d'une communauté d'intérêt autour de valeurs partagées. Cette communauté va co-créer des solutions, qui servent ses membres
en s'appuyant sur le partage des idées et des moyens de chacun. Elle part de la valorisation du réel et va optimiser l'usage de ses moyens pour atteindre ses objectifs. À ce titre, elle est efficiente. Les solutions produites sont spécifiques et demanderont un effort supplémentaire pour être rendues
universelles. Toutefois, basée sur des cycles cours, toujours enrichis par les nouveaux entrants et le vécu de ses membres, elle est par essence ouverte vers l'extérieur et opportuniste.

Pour ma part, je pense que dans le contexte social, économique et écologique actuel particulièrement volatile et incertain, il devient plus important de préserver ses valeurs, que de réaliser une vision coute que coute.
C’est pourquoi, lors de mes missions d’accompagnement des dirigeants, lorsqu’ils me demandent comment rendre l’entreprise plus performante, je privilégie souvent la stratégie du transformateur, qui en offrant une résilience maximum, pérennise l'essentiel : la raison d'être de l'entreprise.

Et pour répondre à la question initiale : Comment être un dirigeant performant sans être visionnaire ?
Si vous êtes visionnaire profitez de son efficacité mais préserver votre capacité à sentir l'air du temps. Ma préconisation est d'avoir accès à un écosystème ouvert, qui sera votre caisse
de résonance des changements en cours et à venir.

Si vous n'êtes pas spécialement un visionnaire, ce n'est pas grave, définissez votre raison d'être, bâtissez ou adhérez à une communauté d'intérêt, qui porte vos valeurs. Et ensemble vous
serez plus performant pour co-construire un monde acceptable, qui préserve votre raison d'être.

Merci pour votre temps et pour ceux qui veulent aller plus loin dans le partage de cette réflexion, je suis disponible en direct et au sein du collectif #theresilienceprojectcommunity sur LinkedIn, que co-anime avec Frédéric Bonnard.

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